AVICENNE / IBN SINA (980-1037)
De son vrai nom Abu Ali al-Husayn ibn Abd-Allah Ibn Sina, Avicenne est un médecin et philosophe né en 980 près de Boukhara (Ouzbékistan actuel) et mort en 1037 à Hamadan (ville d’Iran). Sa carrière et ses écrits s’inscrivent dans un âge d’or culturel de l’islam. Sa biographie est connue grâce au récit qu’a laissé son secrétaire, disciple et ami al-Djourdjani.
Ibn Sina incarne l’âge d’or culturel de l’Islam, par ses qualités personnelles, l’ampleur de ses recherches, sa brillante carrière. Sa réflexion participe de l’intégration de l’héritage gréco-romain et de la formation de la culture arabe classique. Très vite, il est connu dans tout le monde arabe, voire même au-delà, et ses écrits médicaux et philosophiques auront une grande influence par la suite, notamment en Occident.
IBN SINA EST UN MEDECIN, REMARQUABLEMENT DOUE
Il traduit lui-même certaines œuvres de Galène et d’Hippocrate, pratique la dissection pour « pénétrer les secrets du corps humain ». Son apport en médecine est fondé avant tout sur ses propres observations, sur son expérience directe, mais aussi sur une utilisation rigoureuse de la logique (il pose des prémisses dont il déduit ensuite les conséquences logiques). Son œuvre majeure reste le Canon de la médecine (Kitâb al-Qanûn fi Al-Tibb, littéralement le Livre des lois médicales). Ce livre, ramené en Occident par les croisés, et traduit en latin entre 1150 et 1171 par Gérard de Crémone, aura une influence clé en Occident, remplaçant Galien, jusqu’à ce que les savants de la Renaissance le contestent (Léonard de Vinci notamment).
Ses travaux marquent de grandes avancées dans plusieurs domaines médicales
En gynécologie, par exemple, ou encore en ophtalmologie, un domaine extrêmement investi par les savants arabes qui multiplient les recherches sur l’optique et la lumière. Ibn Sina expose avec précision le rôle du cœur dans la circulation du sang, pressent le rôle des rats dans la propagation de la peste, multiplie les expériences pharmacologiques : le livre IV de son canon énumère ainsi plus de 760 médicaments. Ibn Sina mène également de complexes recherches en mathématiques (notamment sur les corps infinitésimaux) ou en physique. Il porte une grande attention à la prophylaxie : « la médecine est l’art de conserver la santé, et éventuellement de guérir la maladie » écrit-il ainsi. Il rédige un « poème de médecine » (Urdjuza fi-tib) destiné aux princes, dans lequel il expose les meilleurs moyens de conserver la santé au sein du peuple. Par ces recherches, Ibn Sina est au plus près de l’actualité : le monde arabe a d’immenses villes (Bagdad est la plus grande ville du monde à l’époque) dans lesquels les maladies se multiplient. Ibn Sina est également l’un des premiers à s’intéresser aux maladies psychiatriques, dont il identifie rigoureusement les symptômes, et parmi lesquelles il classe l’amour, comparé à la mélancolie ou à l’amnésie.
C’est ce qui va séduire les philosophes socratiques occidentaux : Roger Bacon le qualifie par exemple de « prince des philosophes », pas des médecins.
LE PRINCE DES PHILOSOPHES
Le monde arabe est à l’époque animé par un intense mouvement de traduction des textes grecs et latins, philosophiques ou scientifiques (voir l’ouvrage de D. Gutas). Les premiers califes, qui ont découvert le papier au milieu du VIIIème siècle, font traduire des centaines d’ouvrages, et attirent auprès d’eux scientifiques et intellectuels. Les différents princes, pour les imiter, se font eux aussi mécènes. C’est à cette époque, en particulier à Bagdad, que se forme la culture arabe classique, divisée entre adab (culture littéraire), ‘ilm (culture religieuse) et hikma (sciences profanes, dont la médecine et la philosophie). On a vu que Ibn Sina s’y inscrivait en plein : il traduit lui-même des textes, et est à la fois grand médecin et grand philosophe. Cet âge d’or culturel profite aussi de l’émulation entre culture arabe et culture persane : le persan est la langue vernaculaire d’Ibn Sina, mais il écrit le plus souvent en arabe classique. Enfin, le savoir est à l’époque extrêmement valorisé socialement : Ibn Sina accède à de hautes charges politiques grâce à ses qualités intellectuelles.
Dans cette redécouverte de la culture antique, Aristote occupe une place clé. Il est surnommé « le premier maître » : al-Farabi est le second maître, et Ibn Sina sera le troisième. Celui-ci écrit notamment une immense Philosophie orientale, composée de 28 000 réponses à autant de questions, qui disparait lors du sac d’Ispahan en 1034. Sa philosophie métaphysique est articulée autour de la distinction entre essence et existence, et il développe une complexe théorie faisant de Dieu, « l’Être nécessaire », la force première inspirant l’intelligence de l’homme. C’est notamment cette construction, qui interroge l’unicité divine et son rapport à l’humanité, que l’Occident découvrira avec intérêt, la croisant avec celle d’Averroès : on parle de l’avicennisme, un courant d’idées qui influence notamment Guillaume d’Auxerre. Ibn Sina reprend l’héritage d’Aristote, par exemple pour la philosophie politique : l’être humain est pensé comme un animal social. On pourrait dire qu’il passe l’aristotélisme au filtre du monothéisme : c’est grâce à de telles réflexions que le monde arabe intègre et s’approprie la philosophie antique. Ses propos se font aussi avis politique, lorsqu’il écrit par exemple que le successeur du prophète, le calife, doit être désigné par le Prophète lui-même, et régner avec l’accord du peuple : c’est là un problème qui a divisé l’Etat islamique depuis ses débuts.
Ibn Sina est aussi un professeur, avec des élèves qui le suivent un peu partout. Dans ses écrits, il dit que former de nouveaux esprits est le devoir du scientifique : « ainsi, comme médecin, je soignais le corps de mes patients et, comme professeur, je préparais l’âme de mes élèves ». On reconnaît là l’influence de Platon. Il rédige de petites fables philosophiques pour développer ses idées d’une façon pédagogique, et développe également toute une réflexion sur l’éducation, sur les soins à apporter aux enfants, liant pédiatrie et pédagogie. Il construit une véritable paideia (réflexion sur la place de la musique et du sport dans l’éducation des jeunes enfants, sur les différents âges de la vie, sur l’équilibre entre le corps et l’esprit,…), ce qui donne au philosophe un rôle clé dans la cité.
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